THE BATMEN

Naviguant entre un rock’n roll nerveux et un rhythmn blues ample et souple, les Batmen prenait possession de la scène avec une rage efficace et intense. Des guitares tranchantes et claires, une voix chaude, des chœurs peaufinés, une rythmique à vous décoller du siège. Le groupe se forme à Grenoble en 1984 en trio d’abord avec Roberto Lozano (guitare, chant), Patrick Muin (basse) et Christian Vittoz (batterie), puis à quatre avec l’arrivée en 1986 de Miguel Mougier (guitare). Entre 1984 et 1988, ils sortiront deux albums, le premier éponyme chez Closer Records en 1985, produit par Lucas Fox, et le deuxième Bubble Skies, toujours chez Closer Records, en 1988, cette fois produit par Stéphane Saunier et le groupe.

photo : Alain Paire CharlotDHB

« Janvier 1984 : à un jet de médiator de la gare de Grenoble, de la litière improbable des groupuscules progressifs et de combos new-waveurs, naissait le glorieux concept du rhythm and soul. La première chose qui saute aux yeux quand on se penche sur la naissance du groupe c’est l’envie de jouer de ces trois-là et l’intervention décisive d’un hasard plus que favorable : les Batmen agissent sans calcul, ni préméditation. Envie de jouer, elle est évidente. C’est elle qui explique la présence à la fin des années 70 de Christian et Patrick dans des formations incongrues qui ont nom Gloria Footing ou Bändi : directions musicales à géométrie variable et réputation très, très locale, mais aussi concerts en Finlande ou à Barcelone. La même grâce à qui Roberto se retrouve partie prenante des Interimers, une de ces nombreuses formations à boite à rythmes qui fleurissent en 80, où il tentera, sans trop de succès, de préserver les prérogatives du rock face à la machine.

La préhistoire des Batmen n’a effectivement rien de glorieux. Mais s’ils ne s’en vantent guère aujourd’hui, ils n’en rougissent pas non plus. Ils avaient envie de bouger, ils l’ont fait sans se soucier de savoir comment leurs biographes à venir réagiraient à ces débuts incohérents. Le facteur chance lui, allait plus ou moins tourner autour de Raymond (manager, reggae-freak, partenaire indissociable du groupe). Christian (batteur, fan de soul, de rhythm and blues et de Presley) : « Raymond organisait des concerts dans la banlieue grenobloise et on y était toujours fourrés. Il choisissait des groupes avec lesquels on se sentait des affinités, comme les Real Kids. Il y avait les groupes du Havre aussi, qui jouaient beaucoup chez nous. On a tout de suite eu des trucs en commun avec eux, leur état d’esprit, on est devenus potes, ils nous ont beaucoup encouragés. En fait, pour beaucoup de musiciens à Grenoble, le déclic, ce qui leur a montré qu’on pouvait monter un groupe et jouer du rock dans sa ville, ç’a été les Bad Brains. Avant, tout ce qu’on avait, c’était une guéguerre de groupes locaux sans direction. Aujourd’hui encore, tous les groupes de Grenoble sont capables de te jouer un morceau des Bad Brains (le groupe du Havre — ndr) note pour note. » On les imagine bien en cet hiver 1984, réunis tous les quatre autour d’une table et d’une paire de bouteilles de rouge, Roberto et Raymond d’un côté (Raymond s’occupait déjà des Fugitifs, le dernier groupe de Tito), Patrick et Christian de l’autre, à s’exciter mutuellement sur ce nouveau projet. Les dés sont jetés. La donne ne changera pas foncièrement par la suite : ils ont gagné en force, en cohésion, en violence aussi depuis l’arrivée de la guitare de Miguel, mais l’esprit Batmen est resté en l’état.

Il faut bien voir une chose quand on s’intéresse à ce groupe, c’est que leur identité va bien au-delà de simples affinités musicales. Les Batmen sont une réunion d’individus qui ont en commun un certain nombre de références, mais surtout, avant tout, qui partagent une même conception du rock’n roll pris dans sa plus grande largeur. Rien de bien original ? C’est vrai. Mais quand chez beaucoup de groupes cette vision commune est pensée, délibérée, eux semblent avoir toujours trimballé la leur dans leur bagage génétique. Leur force, c’est qu’ils apparaissent tels qu’ils sont : nature. Pas de différence entre les Batmen des tournées et les Batmen de tous les jours : ils sont Batmen dans leur boulots respectifs, mais le groupe est aussi la résultante de leurs expériences extra rock’n’rolliennes. Le concept de street credibility est depuis longtemps caduc ? Les Batmen inventent la life credibility, une idée qui les soude les uns aux autres, qui fait qu’on imagine pas le groupe sans l’un de ses membres. Au regard de ça, leur histoire est finalement sans intérêt autre qu’anecdotique : la resservir telle quelle ne serait pas leur rendre justice. La musique elle même, si elle n’était pas si aboutie et si réussie, en serait presque secondaire. Roberto (chanteur, fan de Little Richard, Stones, Who…) : « Avant les Batmen je n’avais joué qu’avec des gens jeunes, pas toujours mûrs dans leur tronche. Des groupes qui n’avaient pas vraiment de direction, qui étaient juste là comme ça, pour se marrer? Les groupes de premier jet c’est bien, mais ça va rarement très loin. Christian et Patrick me semblaient plus mûrs, ils savaient ce qu’ils voulaient et moi aussi….Le Rhythm and Soul, c’est la même chose. Rhythm parce que la place du tandem basse-batterie est essentielle pour nous, même si on a aujourd’hui deux guitares. Et Soul parce qu’on ne peut envisager de jouer que des morceaux qui viennent de là, du coeur. il y a la connotation évidente avec rhythm and blues, mais pour nous, la soul, avant de faire référence à la soul music, c’est d’abord l’âme. »

Tout est là et tout découle de là. Patrick était guitariste autrefois et, au moment du lancement du groupe, Roberto était vaguement gêné de lui demander de passer à la basse, mais si on lui pose aujourd’hui la question, il vous répond : « J’aurais dû jouer de la basse depuis le début ; c’est ça qui me convient vraiment ». Idem pour la manière dont ils intègrent au son Batmen des influences on ne peut plus diversifiées, cette façon de reprendre à leur compte des morceaux qu’ils sentent correspondre à leur identité qu’elle que soit leur provenance. De « The Beat » piqué à un obscur groupe de new-wave hollandais au récent « Get On Your Knees » que Roberto a ramené d’un disque de Los Canarios trouvé aux puces, en passant par « Keep On Running », « Inside Looking Out » ou « Teenage Kicks ». Leur politique de reprises est ainsi, une suite de coups de coeur dont la seule cohérence est émotionnelle. Ils jouent leurs covers de mémoire parce que le respect trop littéral n’est pas leur truc, survolant du coup les chapelles et les revivals, et donnant à leur musique toute son ampleur, ce côté ouvert qui la rend si prenante et qui, s’il y avait une justice pour les rockers, leur autoriserait de vraies ambitions commerciales. Comme Joe Jackson, Any Trouble ou les Sports, pour ne retenir que quelques uns des noms qui me viennent le plus naturellement en mémoire à propos de leur période en trio (depuis que Miguel est arrivé avec son air de pas y toucher et sa guitare mur du son, les choses ont pris un cours encore plus énergique), les Batmen sont un groupe de synthèse. de fusion, si le mot n’était entaché de connotations suspectes. Patrick (bassiste, écoute de la musique noire, du glitter, les groupes de 77…) : « Quand j’ai rencontré les autres, j’ai découvert qu’il y avait d’autres gens avec qui je pouvais parler de rhythm and blues. jusque là, j’avais l’impression que c’était une musique que plus personne n’écoutait vraiment. Et tout d’un coup, je tombais sur des gens qui avaient envie d’en parler pour les mêmes raisons que moi. des raisons qui n’avaient rien à voir avec le revival »

Cohérence et cohésion pourraient être leurs mots d’ordre s’ils ne les appliquaient aussi instinctivement. Les contradictions qu’on pourrait être tenté de leur coller sur le dos ne résistent pas à l’examen. Ils sont pour moi le plus adulte de nos groupes teenage. Maturité, équilibre, refus d’une naïveté où beaucoup se réfugient mais en même temps enthousiasme total, et un enthousiasme qui dure et qui ne donne pas signe d’essoufflement. Groupe français, donc dépendant comme les autres des contingences de l’Hexagone, les Batmen font face intelligemment, trouvant l’énergie de combiner leurs boulots alimentaires (bâtiment, photogravure, intérim…) avec le programme d’un groupe actif et en progression. Le fait que l’album, en dépit d’un succès critique à peu près unanime, n’ait eu que des retombées très modérées pas plus que l’expectative qui prévaut toujours quand la question de leur retour en studio, ne les ont minés.

Depuis un an, les Batmen ont bossé dur, il fallait bien intégrer le petit nouveau et tout le répertoire a été revu pour fonctionner à quatre, et tourné « normalement » ; il suffit d’écouter leurs nouveaux titres ou de les voir aujourd’hui sur scène pour se rendre compte qu’à la relative stagnation musicale a correspondu une réelle montée en puissance au niveau musical. Miguel (guitariste, goûts punk, Stiff Little Fingers, 999, Jam….) : « Je ne jouais pas encore avec eux. J’étais dans un bar avec Roberto et il nous avait demandé à tous : « Qu’est ce que vous penseriez d’un deuxième guitariste dans les Batmen ? » Tout le monde avait répondu : « Jamais, les Batmen sont un trio. » Moi le premier : j’étais à fond contre. Le jour où ils m’ont proposé la place, je leur ai demandé s’ils se sentaient bien. C’est quand j’ai vu que c’était sérieux que je m’y suis mis. J’avais rien à perdre, je pensais qu’ils allaient me jeter après deux concerts. Mais je me suis bien accroché, je voulais être à la hauteur et j’ai vraiment bûché pour y arriver. »

Un renfort dont l’opportunité n’était pas forcément évidente pour tous, vu la force du trio, mais qui ne pose aujourd’hui plus de question. Comme dit Roberto : « On a été tué dès le premier concert qu’on a donné avec Miguel. On avait fait tout le répertoire à trois et on devait faire le rappel avec lui. les mecs se sont mis à nous rappeler, à gueuler, Miguel était déjà tout prêt avec sa gratte, torse nu (un élément important de l’identité Batmenienne) : on est revenus tous les quatre torses nus et jamais personne n’aurait pu penser qu’il était de trop« .

Ils ne sont pas le premier groupe à annoncer qu’ils ne jetteront pas l’éponge pour des prunes, qu’ils rigolent de leurs galères et qu’ils se contrefoutent de leurs dettes, mais eux, j’aurais tendance à les croire. Et je ne m’inquiète pas trop quant à la proximité d’une telle conclusion. Tout aujourd’hui est une question de rythme. Et de soul. Crazy, crazy, do the Swamp rock around the clock. »

Benoit Binet, Nineteen, Octobre 1986
Intro Éric Sourice

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“Swamp-rock, beat’n’blues, les Grenoblois nerveux prouvent sur la distance qu’ils sont bien le meilleur groupe français (avec les Shtauss dans l’antichambre) de rock’n’roll psychotonique.”
Jean-Luc Manet, Ici & Indépendant, Best 1989

“Les Batmen ont des symptomes qui ne trompent pas : énergie, savoir-faire et DÉSIR en ont fait un groupe capable sur scène de retourner n’importe quel public. Les Batmen sont contagieux. A l’arraché ils se sont imposés, comme un des tout meilleurs de la scène française dite alternative, dans une veine traditionaliste, pub-rock sophistiqué avec guitares savantes et voix irréprochables.”
Gilles Riberolles, Best n°423, octobre 1988

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Discographie :
Do The Swamp Rock (Closer Records, 1985) single
The Batmen (Closer Records, 1985) LP
Get On Your Knees (Closer Records, 1987) single
Bubble Skies (Closer Records, 1988) LP
Bubble Skies (Closer Records, 1988) single
Can You Feel it Burning? (Closer Records, 1989) CD
Back From The Stone Age (Batmen / Nineteen Something, 2021) LP – Acheter / Buy

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