FIXED UP

(…) Avant Fixed Up, il y eut Teenage Riot, où, entre 79 et 81, François Lebas et Sylvain Picot, firent leur apprentissage. Le premier est guitariste-chanteur, le second, batteur. Et quand l’énigmatique Mephisto, violoncelliste de formation, les rejoindra à la basse, le triangle deviendra Fixed Up. Un nom qui ne tombe pas du ciel, titre extrait du deuxième album des Outsiders, groupe punk anglais peu en cours dont on a surtout retenu qu’il fut le projet initial d’Adrian Borland, leader tourmenté de The Sound — bien des années plus tard, il se jettera sous un train du côté de Wimbledon — quatuor post-punk à la chétive reconnaissance. Sur ce même album, figure également le morceau « Vital Hours », que Fixed Up réutilisera pour baptiser son album enregistré en Australie. Ainsi qu’un autre nommé « Touch and Go », qui — hasard ou pas — allait devenir l’un des labels indie US les plus aventureux de la fin du XXe siècle. Et Fixed Up jouera « Fixed Up » sur la compile Eyes On You, sur l’instant une des plus belles vitrines du rock Français dit « à guitares ». Agencée par un label, Closer, tout aussi Havrais que le trio. Et n’en ayant pas terminé avec Adrian Borland, les trois Normands s’acquiteront aussi de « Physical World », simple de The Sound, daté de 79, dont l’entêtante concision ne manquait pas d’évoquer les susdits Outsiders.

Fixed Up

Photo : City Slang

Mais chez Fixed Up, entre la mise à feu et le premier 45 tours, deux ans à peine vont s’écouler. Durant lesquels Sylvain Picot, associé à Marc Minelli et Christian Houllemare, fera briller l’éphémère étoile des Go-Go Twisters, assurant en particulier le lever de rideau de la tournée française de Willie Loco Alexander et de ses Confessions. Mini-évènement passé à la postérité à la grâce du double album Autre Chose, que New Rose fit paraître peu après. Toutefois, pour Fixed Up, c’est chez Sonics Records qu’allait voir le jour leur tout premier EP. Label lancé par Stéphane Rocky Saunier, homme de l’ombre et manager souvent vindicatif. « Take A Look At Me » est le nom de la bête. Là, au prix d’un noir et blanc charbonneux, est proposé un portrait de groupe où il semble difficile aujourd’hui de formellement reconnaître François Lebas en la personne de cet ado aux joues rebondies et au faciès boudeur. Mais pour ce qui est de la musique, tout est déjà là. Même si l’accent est plus particulièrement mis sur le versant garage-pub-rock du trio. Avec un « I Can’t Sleep » à réveiller les morts et semblant surgir d’une ordonnance des quatre toubibs de Canvey Island. Ce que confirme leur annexion de « Take a Look At Me », innocente sixties-tune qu’ils atomisent avec une grinta de sales gosses. Avant de clore sur « Miss T. » leur hommage personnel à une célèbre boisson forte venue d’Amérique Centrale, parfois offerte avec son ver en condiment. Tout ça produit à Londres par un dénommé Barry Sage, qui s’est fait un nom en travaillant aussi bien avec Peter and The Tube Test Babies qu’avec les Rolling Stones.

Il sera reconduit pour l’épisode suivant, l’enthousiaste « You Can Count Me In » et sa pochette qui donne le la. Toujours chez Sonics, puisque partout ailleurs, c’est du produit francophone que l’on demande. Ici, le temps de deux titres, ils soulignent davantage encore le côté noir de leur musique, comme pour faire écho au très beau design de la façade. A virer derviche tourneur ou danseur acrobatique. Même une jambe de bois n’y résisterait pas. Nous sommes en 1984, et pour eux, les choses sérieuses ont déjà commencé ! Les concerts se multipliant, la perspective du premier album devient évidence. Et c’est une nouvelle fois à Londres qu’ils vont aller, aux Studios Flame, sous l’amical chapeautage du grand Larry Wallis. Choisi parce qu’ils aiment bien le boulot qu’il a fait sur le décapant Vampires Stole My Money Lunch, l’album de son copain Mick Farren. Et que « Police Car », son simple chez Stiff, leur a aussi tapé dans l’œil. L’oiseau connaît la musique. (…) Il va contribuer à faire de cet album et son fameux portrait au fish-eye, un truc honnête et droit où ne s’entend rien d’autre que ce que le groupe est capable de jouer, restituant au mieux la dynamique de leurs apparitions publiques. Boosté par une brouettée de titres qui vous dynamitent le cortex, « Things Get Better », l’inoubliable, mais aussi « Strangest Girl », « Get Out Of My Mind » — « Get Out, Get Out », supplient les chœurs » —, « Something Right » ou « Don’t Forget ». La malle est pleine et c’est cadeau! Tout ça augmenté de trois reprises pour plus facilement démêler l’écheveau de leurs influences. « Good Times » des Easybeats, « Bottle Up And Go », attribué ici à John Lee Hooker, même si, en réalité, vieux morceau du répertoire, déjà enregistré avant-guerre par Tommy McLennan, mais le bègue de Clarksville en ayant enregistré plusieurs versions, il méritait bien s’en approprier un peu de la fugitive gloire. Et le dernier indice, à ne pas minorer, c’est « Mojo Woman », escamoté chez Wilson Pickett, accéléré et fuselé comme un missile sol-sol. (…) Plus tard, ils feront le même coup avec « Biff Bang Pow », le titre des Creation, chez eux devenu « Riff Bang Pow », parce que — dixit Stéphane Saunier — ça sonnait moins cruche ! Mais enfin, en résumé, sixties-beat, blues et rhythm & blues : leurs vraies mamelles, là où ils s’abreuvent. Avec ce punk-rock hargneux qui sert à lier la sauce. Un bout de vache enragée branchée sur le 220 !

Fixed Up - Le Mans 1983-4 - Photo Jean Zindel

Photo : Jean Zindel

Et les voir sur scène est un régal. François taillant sur sa six-cordes comme un jardinier ombrageux s’abattant sur des haies ; à sa gauche, Mephisto, jeu puissant, souple et habile, semble faire corps avec son instrument, tandis qu’un peu à l’arrière, Sylvain, amplitude du geste et bras à rallonges, matraque toms et fût avec une précision de clinicien maniaque. Ils sont beaux à voir, les Fixés. Scotchant à entendre et observer. Capables de balayer de scène tous ceux qui ne sont pas portés par semblable implication. On garde ainsi dans un coin de la tête une soirée à Libourne qu’ils partageaient avec les Nomads, Suédois alors tout auréolés d’un méchant six-titres fraîchement paru chez Closer. Comme le premier album de Fixed Up, justement. D’où la tournée commune. Mais ce soir-là, après que les cinq de Solna se soient montrés laborieux, empruntés et très en deçà de l’attendu, c’est le nom des Havrais qui flottait sur la plupart des lèvres. Qui avaient fait mieux que très bien. Et n’allaient jamais déroger à cette incontournable règle, dix spectateurs ou salle pleine, tu te mets à la planche. Tu joues, tu flingues et tu t’en vas. Et pour les avoir vu un petit paquet de fois, je peux vous assurer porter encore la trace de quelques impacts.

Après ça, il y aura « On Your Line », son refrain cajoleur et l’incroyable rose et bleu de sa pochette — 45t simple ou Maxi — juste avant « One Night Stand », extrait d’un époustouflant deuxième album commis à Sydney, Australie, avec Gentleman Jim Dickson et Rob Younger à la console. Barracudas, New Christs ou Radio Birdman pour épurer le CV. Ça parlait alors à beaucoup d’entre nous. Douze titres, dix originaux, parfois rehaussés de cuivres, une prod’ en béton, avec ce qu’il faut de profondeur et de mordant. Les Fixés à leur meilleur. Qui n’ont pu se retenir d’aller déterrer une autre perle punk-rock oubliée. « My Love For You », trésor ciselé chipé aux Anglais de Satan’s Rats, dont le degré zéro de notoriété ferait passer les Outsiders pour des habitués des premières pages du NME. Trois singles et puis s’en vont. Mais, c’est rien de dire que la version de Fixed Up leur fait honneur, même si — chez eux, c’est une manie — ils ont légèrement raccourci le titre d’origine. Et tant qu’on en est parti à renifler la poussière sous le tapis et les éclairantes reprises balancées en public, déplorons qu’ils n’aient jamais pris la peine d’enregistrer « Me and The Boys », pétillante bombinette de NRBQ, qu’ils jouaient parfois sur scène. Toutefois, en terme d’obscurités difficilement localisables, ils feront encore mieux avec « Who Is Innocent? » détaxé chez The Out, du post-punk anglais nerveux et aigrelet dont personne ou presque n’a entendu parler avant qu’ils ne transforment ça en tornade blanche. (…) Queue de comète étincelante d’une discographie par trop squelettique pour un groupe qui valait nettement plus que le silence insultant ayant accompagné son retrait. Le refrain est connu et, de toute façon, l’indifférence chronique d’un pays parfois sourd n’expliquera jamais tout. Pour notre part, on préfère se souvenir d’un groupe d’une honnêteté absolue, gens à la fois talentueux et modestes, dont la vraie ambition consistait à faire chavirer tous ceux qui avaient pris la peine d’aller se masser au pied de la scène. Ou du coin de bistro qui en tenait lieu. Tachant de restituer ça au mieux à chaque escale studio. Ni frime, ni faux-pas. Et si on a toujours les disques – à chacun ses reliques sacrées – aujourd’hui encore, leurs concerts nous manquent plus que jamais. 1981/1988, sept années pleines et riches. Mais bon sang, que s’est passé vite!

— Alain Feydri, novembre 2017
(texte intégral dans le livret du CD Who Is Innocent?
A Singles Collection 1983-1987
)

 

Discographie Fixed Up :
1983 – Take A Look At Me (7” Sonics Records)
1984 – You Can Count Me In! (7” Sonics Records)
1984 – Fixed Up (LP Closer Records) — Réédité en/reissue in 2014 (LP & CD)
1985 – On Your Line (7” & 12” Closer Records)
1985 – EP Live (7” Closer Records) — split EP with The Nomads
1987 – One Night Stand (7” Closer Records)
1987 – Vital Hours (LP Closer Records)
1987 – Who Is Innocent ? (7” Closer Records)
1988 – No More (CD Closer Records)
2018 – Who is Innocent ? A Singles collection 1983-1987 (CD Nineteen Something)

Les deux albums de Fixed Up, Fixed Up et Vital Hours, seront disponibles en digital sur les plateformes officielles de streaming et téléchargement le 04/05/2018 !!

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